Christian FLAVIGNY

psychanalyste

16-17 février 2014 - Le Monde

L'enfant n'est pas un adulte en miniature
 
Un matériel pédagogique fait débat en ce moment, mis à la disposition d’enseignants d’écoles primaires ; deux livres sont particulièrement contestés : “Papa porte une robe”, et “Tous à poil”. Faut-il s’en émouvoir ? Oui, car de jeunes enfants ne peuvent les ressentir comme le font des adultes, quand bien même les notions en seraient présentées de bonne foi et avec nuance par des enseignants attentionnés. L’enfant n’est pas un adulte en miniature.
Ainsi, à propos du premier ouvrage : la réflexion d’adultes peut interroger la manière vestimentaire et sourire du questionnement des coutumes qui était d’ailleurs la fonction rituelle qu’avait jadis le Carnaval, bousculant les stéréotypes sexués ; car leurs repères intérieurs sont établis, leur ayant permis, pour bien d’entre eux, de devenir des parents. L’enfant est en cours d’édification de ces repères, et il ne peut le faire que depuis leur présentation cohérente ; l’idée que les brouiller favoriserait son ouverture à la diversité est une méconnaissance de son développement affectif : au contraire, cela l’entrave. Il ne reçoit pas “Papa porte une robe” comme un message faisant évoluer les représentations habituelles de la répartition des tâches sociales entre les adultes, comme serait “Papa porte un tablier quand il fait la vaisselle”. Il y reçoit des fonctions paternelle et maternelle floutées, comme si celles-ci, dont le partage porte la venue au monde des enfants, étaient substituables et n’impliquaient pas l’enjeu de leur différence. Si père et mère peuvent être indifférenciés dans les tâches familiales, et à ce moment-là dans leur vêtement, ils ne le sont pas dans leur fonction paternelle et maternelle, dont leur vêtement sexué est la vêture. 
L’usage du livre “Tous à poil” pose des questions similaires. On aura remarqué que si tout un chacun adulte peut se “mettre à poil”, ce n’est pas le cas des enfants, dont les poils pubiens n’ont pas encore poussé ; d’ailleurs en langage d’enfant, on se “met tout nu”. La remarque est loin d’être anecdotique, pour peu qu’on accepte de la considérer depuis le regard de l’enfant ; car la toison pileuse des adultes condense pour lui tout le mystère de leur vie sexuelle, qui l’intrigue  … à la condition d’en demeurer à prudente distance. La séance de déshabillage mise en scène par le livre peut prendre pour les adultes la saveur vaguement impudique d’un strip-tease généralisé ; pour la plupart des enfants, elle risque fort de constituer une scène inquiétante, chargée d’une crainte d’intrusion. La nudité adulte ainsi exhibée fait effraction dans sa vie psychique ; l’enfant n’y savoure pas la découverte des corps sexués, il se méfie de l’intention ainsi manifestée et en redoute la menace pour son intimité. Certes induire ce trouble n’est l’intention ni des auteurs ni du Centre National de Documentation Pédagogique qui a agréé ce livre dans la panoplie des bibliothèques ; mieux vaut pourtant qu’ils le mesurent : l’enfant reçoit l’image à l’état brut. Il y a eu récemment à la télévision une fort juste campagne de sensibilisation à la fragilité propre de l’enfant, soulignant l’impact sur lui des scènes de violence ; on y voyait un père captivé … et un enfant dégommé : il en va de même pour les images de dénudation.
Les Ministères du Droit des Femmes et de l’Éducation Nationale arguent que ces livres ne font pas partie des recommandations du plan qu’ils promeuvent en faveur de l’égalité entre les sexes (“l’ABCD”) ; mais ils ne peuvent ignorer qu’ils participent de leur mouvance. Loin de n’aborder que les fameux stéréotypes de tâches sociales, ces livres malmènent les repères fondateurs pour l’enfant que sont ceux entre les sexes (pour lui : père et mère) et les générations (adultes / enfants). D’où résultent que la confusion est ressentie comme une ambiguïté. 
Une propension de notre société actuelle veut aimer et éduquer l’enfant en l’immergeant dans le monde adulte ; c’est négliger que la famille seule est en mesure d’y amener progressivement l’enfant, tout en assurant sa protection. Une connivence affectée mêlant le monde de l’enfance et celui des adultes, animée des meilleures intentions, perturbe la vie psychique et affective de l’enfant.
C. Flavigny


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