Christian FLAVIGNY

psychanalyste

15 novembre 2012 - Commission des lois

INTERVENTION DE CHRISTIAN FLAVIGNY, COMMISSION DES LOIS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE présidée par ERWANN BINET, rapporteur, le 15 11 2012

Un projet de loi régissant la vie familiale appelle à être réfléchi depuis l'enfant ; or l'actuel projet a ce grave défaut d'organiser un authentique droit à l'enfant pour les adultes, sans considération du besoin fondamental de l'enfant d'avoir un père et une mère.


Ce n'est pas là défendre une norme de constitution de la vie familiale ; c'est la définir depuis l'aspiration fondatrice pour tout enfant à sa raison d'être : être l'incarnation d'une rencontre ayant de manière crédible porté sa venue au monde, donc l'union d'un homme et d'une femme qui les ait rendus père et mère.
Bien sûr il y a dans les faits des enfants qui se trouvent privés d'avoir leur père et leur mère. La question est alors de leur faciliter de surmonter l'épreuve que cela comporte pour eux. L'enfant s'impute vite la situation ; il faut l'aider à se dégager du fait qu'il s'en sente le responsable, car il est vite saisi de mésestime de soi dans sa crainte d'avoir été mauvais enfant. On le voit chez l'enfant abandonné (ai-je été abandonné parce que j'aurais été mauvais enfant ?), chez l'enfant dont l'un des parents est parti (l'ai-je déçu ?), etc. ; a fortiori, pour l'enfant qui n'a jamais eu son père et sa mère (parent célibataire, vivant une vie homosexuelle, etc.), sa question est au fond : n'aurais-je pas mérité d'avoir mon père et ma mère comme les autres enfants ? Ce n'est pas dans des explications en langage pseudo-adulte que la question peut s'élaborer pour l'enfant. C'est dans le fait que les adultes demeurent clairs sur la question : il est privé d'avoir son-père-et-sa-mère du fait de la vie solitaire ou homosexuelle de sa mère (ou de son père dans un cas de figure plus rare). Alors l'enfant peut comprendre que ce n'est pas de son fait. Le compagnon ou la compagne, de sexe différent ou de même sexe que le parent, ne saurait être un deuxième parent, car il n'a pas porté l'enfantement ; dans le cas d'une union de même sexe, il ne l'a pas partagé avec le parent d'une manière vraisemblable, puisque entre hommes ou entre femmes l'enfantement est inconcevable. C'est le problème posé par un projet de loi qui mettrait ce compagnon ou cette compagne de même sexe en place de parent ; il ou elle peut certes avoir un rôle éducatif des plus précieux pour l'enfant, d'ailleurs garanti par la possibilité de partage d'autorité parentale. Mais pas une place de parent, qui n'est pas crédible depuis le regard de l'enfant.
L'établissement de la structure familiale repose en France sur la vraisemblance que l'union ait porté la venue de l'enfant ; cette vraisemblance garantit la crédibilité par l'enfant d'être l'enfant de ses parents, et donc l'établissement du lien de la filiation, avec sa fonction organisatrice de la protection de l'enfant dans la famille. Le repère biologique est certes une voie favorisant la vraisemblance et la confortant ; mais la vraisemblance est conservée aussi dans l'adoption, à condition d'en respecter les conditions. Ainsi la demande d'adopter d'un couple (homme-femme) quinquagénaire vantant être en bonne santé et à l'aise financièrement, est-elle le plus souvent refusée ; c'est que l'adoption ne comporte pas de donner à l'enfant un grand-père et une grand-mère, seraient-ils les plus attentionnés du monde et en pleine forme, mais un père et une mère. La question de la différence des sexes se pose dans les mêmes termes que celle des générations : non par « homophobie » mais par la prise en compte du fait que l'union entre hommes ou entre femmes ne porte pas l'enfantement, puisqu'elle le met en impasse : elle ne peut être celle d'un père et d'une mère partageant l'enfantement.
Certes est invoquée « l'adoption par un ou une célibataire de plus de 28 ans », qui donne seulement un père ou une mère à l'enfant. C'est de fait une anomalie de la loi. Pour avoir au début de ma pratique de jeune pédopsychiatre travaillé avec le Pr Michel Soulé, qui rédigea avec Mme Simone Veil le texte de loi sur l'adoption plénière, et avoir participé alors à des réunions de ces deux éminentes personnalités opérant le suivi de ce texte, je peux témoigner que ce texte qui changea en 1966 de façon radicale le principe de l'adoption, la faisant passer d'un recueil d'enfants sans parents à l'établissement d'une vie de famille par l'adoption, ne comportait pas cette clause du célibat, qui n'est restée dans le texte que du fait des parlementaires, émus de paraître disqualifier toutes ces femmes qui s'étaient occupées des enfants depuis le début du vingtième siècle, et souvent seules puisqu'il n'y avait plus d'hommes du fait des guerres. C'est vrai, l'adoption par un ou une célibataire a pris depuis une autre signification du fait du changement de contexte sociétal, désormais entendue comme le droit qu'un enfant n'ait que son père ou sa mère, ce qui valide à tort le fait que cela conviendrait. Ce l'est certes au plan éducatif, la bonne volonté de la personne n'est pas mise en cause ; mais cela constitue une adoption que l'on sait fragile dans son essence (tous les chiffres internationaux le montrent), et fondant un principe contestable car engageant la filiation de manière bancale. Comme quoi il est bon que les législateurs réfléchissent et ne se laissent pas entraîner dans le compassionnel, cela vaut pour hier comme pour aujourd'hui (un projet de loi abolissant cette disposition illogique est réclamée depuis longtemps, mais les législateurs ne s'en sont pas encore saisis).

 

C.F.
À noter que les « études » brandies relatives à l'enfant élevé au sein d'unions homosexuelles ont le défaut de ne pas poser le problème qui est celui de l'enfant : celui d'être privé d'avoir père-et-mère. La plus sérieuse au plan méthodologique, celle de Regnerus (Social Science Research, 2012, 41) conclut justement que la situation la moins à risque pour un enfant est celle d'avoir son père et sa mère.
Mais on doit aussi comprendre pourquoi certains pays entérinent le principe d'un droit à l'enfant par les adultes, « l'enfant comme je veux », au contraire de la manière française. Ainsi le cas des États-Unis ; l'adoption y est une cession contractuelle d'enfant (ce qui explique que le principe de Gestation pour Autrui n'y fasse pas problème), tout le monde peut adopter ou recourir aux aides médicales, le principe de choix d'enfant (les catalogues dans les dons de sperme) et de marchandisation de la venue de l'enfant y sont acceptés ou au moins tolérés. C'est une différence radicale avec la manière française, qui refuse historiquement toutes ces manières. Comment le comprendre ? La famille américaine n'est pas structurée comme la famille française sur le principe « père mère garçon fille », mais selon : « des adultes et des enfants » ; ce qui veut dire que la régulation interne à la vie familiale opère depuis des principes différents. Ils ne sont pas intrinsèques à la vie familiale comme en France ; c'est qu'ils sont régis pas les cadres religieux. La société américaine est fondée sur des principes religieux, le mariage qui compte aux USA est le mariage religieux (le mariage civil en découle), le Président prête serment sur la Bible, Dieu est présent dans les cours de justice américaines. Ce sont les religions qui alors gèrent le principe d'humilité et de dette qui contrebalance la posture de tout-pouvoir affichée sur la venue de l'enfant et situe la transmission entre les générations ; le religieux est basé sur un principe de dette à l'égard d'un Dieu Créateur. Ce n'est pas le principe qui vaut en France du fait du principe de laïcité qui est au cœur de la tradition d'une façon très originale et d'ailleurs mal comprise (les américains la jugent liberticide). Du coup en France le principe repose sur la référence "homme-et-femme se rendant mutuellement père-et-mère", ce qui situe la venue de l'enfant sans un tout-pouvoir à son égard, depuis la relation d'incomplétude. C'est là l'aspect anthropologique. Il éclaire pourquoi il serait d'une extrême gravité de modifier le Code Civil en en éradiquant, serait-ce partiellement pour certaines filiations (ce qui est en outre alors scandaleux car ce sont précisément les filiations les plus fragiles et qui ont le plus besoin que les lois confortent leur organisation), les mentions de père et mère et les remplace par celle indifférenciée de parent ; c'est le pivot de l'équilibre familial qui serait fragilisé, alors qu'il supporte toute la construction de la famille, notamment des interdits familiaux qui en sont le régulateur indispensable.
Tout cela serait d'autant plus consternant que les raisons invoquées pour porter le projet de loi sont sans pertinence : tous les enfants ont tous les mêmes droits, quelque soit la manière dont ils sont venus au monde. Par contre il serait inégalitaire de créer par le droit la possibilité qu'un enfant soit privé d'avoir son père et sa mère. Que cette situation existe de fait attire l'attention sur cet enfant comme sur tous les autres enfants, mais ne valide pas de l'entériner de droit, ce qui serait un brouillage de sa filiation, donc de la possibilité pour lui d'établir sa vie psychique.
C'est donc clairement au projet de loi que j'adresse un avis négatif qui ne résulte d'aucun préjugé (je rappelle que, disciple de Freud, je partage son appréciation que rien ne justifie de discriminer les homosexuels, voir mes livres1 où de plus je dénonce la persécution dont ils ont fait l'objet). Ce projet serait créateur d'une grave inégalité entre les enfants ; il s'affranchit de la vraisemblance de la venue de l'enfant depuis la relation "homme-femme-devenant-père-et-père", la remplaçant par le principe d'une parenté d'intention qui établit clairement un tout-pouvoir que l'adulte s'accorderait sur la venue de l'enfant, modification préoccupante car bouleversant l'équilibre des relations entre générations, et ne rendant plus possible de définir la famille depuis ce qui la fonde pour l'enfant : la crédibilité qu'une union ait porté sa venue au monde. Cela ouvre la porte à toutes les dérives que l'on voit opérer dans les pays qui usent de ce principe, ainsi celui de la pluri-parentalité, lié à l'impossibilité pour les juges de départager sur aucun critère précis ce qui ressortit de l'intérêt de l'enfant.

 


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