Christian FLAVIGNY

psychanalyste

16 novembre 2023 - La Croix - Mineurs transgenres, quel accompagnement médical ?

Face à l’augmentation des demandes de transition de mineurs transgenres, la France s’est dotée de centres spécialisés hospitaliers. Mais cet accompagnement médical suscitant la controverse, le ministère de la santé a demandé à la Haute Autorité de santé ses recommandations.

Liz, 18 ans, est une jeune femme « trans », autrement dit une personne née de sexe masculin mais qui s’identifie au genre féminin. « Dès 9 ans, je ne me reconnaissais pas dans les codes imposés aux garçons. Je voulais être moi-même. En même temps, je me sentais mal à cause du regard des autres, avec l’impression d’être un alien. Cette situation m’a longtemps empêchée d’être heureuse », raconte-t-elle.

Ce n’est qu’à l’âge de 15 ans, avec l’appui de ses parents, que Liz va demander l’aide de la médecine. « Je n’étais plus à l’aise avec mon corps. J’avais besoin de voir du changement », poursuit-elle. D’abord suivie par le service spécialisé de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, elle passe bientôt aux consultations du privé.

« Dans le public, les délais sont trop longs et moi, j’étais pressée car en grand mal-être », explique Liz. Il lui faudra malgré tout attendre quelques mois avant de se voir prescrire le traitement capable de féminiser son apparence physique : un bloqueur de testostérone, l’hormone mâle, associé à la prise d’œstrogènes qui favorisent la poussée des seins, font régresser la pilosité et modifient la silhouette.

La prochaine étape ? « Peut-être une augmentation mammaire, mais il n’y a pas d’urgence. En revanche, je ne pousserai pas plus loin car j’ai peur de ne plus être moi en multipliant les opérations », confie-t-elle.

Combien sont-ils, ces mineurs comme Liz, à s’interroger sur leur identité jusqu’à remettre en cause le sexe donné par la nature ? Les chiffres officiels ne le disent pas. Le rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans établi en janvier 2022 à la demande du ministère de la santé reprend ceux de la Cnam qui comptait, en 2020, 294 patients de moins de 17 ans sur les quelque 9 000 bénéficiaires de l’affection de longue durée pour transidentité. « Mais les remontées de terrain montrent que les demandes de transition de mineurs sont en forte augmentation depuis une dizaine d’années », souligne le docteur ­Hervé ­Picard, un des coauteurs.

« En augmentation, sans qu’on puisse parler d’explosion ou d’épidémie comme on l’entend parfois, nuance Agnès ­Condat, pédopsychiatre à la plateforme Trajectoires Jeunes Trans d’Île-de-France créée en 2013 au sein de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Sur la décennie, nous ne devons pas dépasser 2 000 diagnostics de dysphorie de genre (lire les repères ci-dessus), ce qui relativise le phénomène. »

La France s’est dotée d’une dizaine de consultations spécialisées en milieu hospitalier, à ­Paris comme en région. S’inspirant des travaux pionniers des équipes américaines et néerlandaises, mais aussi s’appuyant sur les recommandations des sociétés savantes internationales – notamment la World professional association for transgender health – et leurs propres études, ces centres proposent un parcours d’accompagnement qui commence, quel que soit l’âge du mineur, par un suivi psychologique.

« Il s’agit de permettre au jeune de mettre des mots singuliers sur ce qu’il ressent pour mieux l’aider à soulager ses souffrances. Un processus qui demande du temps et beaucoup de finesse pour s’adapter aux spécificités de l’adolescence, période marquée par des fragilités qui peuvent s’ajouter à la question identitaire », explique le pédopsychiatre ­Serge ­Hefez (1), du service psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à La Pitié-Salpêtrière.

« Ce n’est que dans un second temps que l’on peut envisager un parcours de transition médicale sous le contrôle d’un endocrinologue », poursuit son collègue ­Jean ­Chambry, chef de pôle au Centre intersectoriel d’accueil pour adolescent rattaché au groupement hospitalier universitaire Paris Psychiatrie. Un parcours qui peut démarrer, pour les prépubères les plus en difficulté, par la prescription de bloqueurs de puberté qui inhibent l’apparition des caractères sexuels secondaires : règles et poussée de seins pour les filles, maturation des organes génitaux, pilosité, mue de la voix pour les garçons. « Jusqu’au traitement dit de réassignation hormonale qui permet, à partir de 16 ans en règle générale, de masculiniser ou de féminiser le physique pour réduire le décalage ressenti par le jeune entre son corps réel et son corps perçu », poursuit-il.

« Ce parcours n’est pas systématique, précise aussitôt ­Agnès ­Condat. Toute décision de traitement est examinée au cas par cas, lors de réunions de concertation pluridisciplinaire mensuelles, et nécessite le consentement éclairé du mineur et de ses parents. En fait, il existe autant de transitions que de personnes. »

Pour preuve du discernement dans l’usage des traitements, elle cite l’étude menée sur les 239 patients suivis en dix ans dans son service : 11 % ont reçu des bloqueurs de puberté dans un délai moyen de dix mois entre la première consultation et le traitement ; 44 % ont reçu un traitement hormonal dans un délai moyen de quatorze mois.

Quant à la chirurgie, aucune équipe n’y a recours avant la majorité des jeunes suivis. « Les seules interventions sur mineurs sont des torsoplasties (ablation des seins, NDLR), mais restent rares et réservées à des adolescents en grande souffrance à cause de leur poitrine. Aux Hospices civils de Lyon où j’opère, c’est moins de 10 par an », précise le chirurgien Nicolas ­Morel-Journel, spécialiste des reconstructions génitales.

Si ces parcours hospitaliers ne sont pas remis en cause par les pouvoirs publics, ils ont aussi leurs détracteurs. Le pédopsychiatre Christian Flavigny est de ceux-là. « Le problème de cette approche est qu’elle est sous la double influence, d’une part des associations trans militantes qui prônent une prise en charge dite affirmative, considérant qu’un mineur est capable de s’autodéterminer ; de l’autre, d’une vision américaine de la médecine qui considère que tout problème a son médicament, soutient-il. Cela conduit à prendre au pied de la lettre ce que dit le jeune au risque de l’enfermer dans son leurre et à l’engager dans une médicalisation dangereuse et souvent sans retour possible, au lieu de démêler les raisons de son désarroi. »

Des critiques partagées par la pédopsychiatre ­Caroline ­Eliacheff et la psychanalyste ­Cécile Masson, cofondatrices de l’Observatoire de la petite sirène, association qui se présente, dans le débat public, comme lanceur d’alerte et fer de lance de la résistance pour « prohiber toutes interventions médicales et chirurgicales sur les corps des enfants ».

Dans leur ouvrage La Fabrique de l’enfant transgenre, elles dénoncent ainsi le « scandale sanitaire » qui consiste à « expérimenter, sans preuve d’innocuité », des traitements qui exposent les mineurs à des dommages irréversibles comme la stérilité et à pratiquer des « mutilations » sur des corps sains, tout cela au « nom du bien de l’enfant qui est en fait un déni de son droit à être protégé ».

Pour le grand public, difficile de se forger une opinion quand chaque camp brandit son lot d’études scientifiques, accusant l’autre d’occulter ou de falsifier les données. Dans ce contexte polémique, le ministère de la santé a missionné, depuis 2021, la Haute Autorité de santé pour produire des recommandations de bonnes pratiques sur l’organisation des parcours de transition médicale. Celle-ci a réuni un groupe de travail composé d’une vingtaine d’experts de toutes spécialités médicales et des représentants d’associations de personnes trans.

« La tâche, titanesque, consiste à évaluer l’ensemble de la littérature scientifique produite à ce jour et à la classer selon la valeur de leurs conclusions. Ces avis sont alors soumis à un groupe de lecture plus large d’une soixantaine d’experts, telle ou telle recommandation devant réunir au moins 80 % des votes du groupe de travail et 90 % de ceux du groupe de lecture », détaille le chirurgien urologue Nicolas Morel-­Journel, coprésident de l’instance. Le processus prendra du temps : les conclusions ne sont pas attendues avant, au mieux, courant 2024...

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