Christian FLAVIGNY

psychanalyste

24 août 2025 - Institut Thomas More: No Kids · Cette allergie aux enfants qui s’est installée au cœur des vacances

Hôtels interdits aux enfants, vasectomies volontaires, refus militant de la parentalité, rejet du bruit et de la spontanéité enfantine dans les lieux publics… Le mouvement « No Kids », longtemps marginal, s’installe désormais dans le quotidien, jusqu’au cœur des vacances.
 
 Pourquoi « fait-on » des enfants (expression d’ailleurs peu délicate) ? Enfanter mêle un égoïsme et un altruisme ; il y a toujours les deux, intriqués. C’est l’équilibre entre les deux qui procure la joie d’avoir ses enfants : le primat à l’un (généralement l’altruisme) crée un déséquilibre, et ceci pour les deux sexes, pour les pères comme pour les mères – même l’équilibre de la joie diffère entre les deux sexes, masculin et féminin.

La part égoïste : l’enfant est un prolongement de soi-même, il concrétise la fragile tentative de s’assurer une immortalité. C’est essentiel : si l’enfant n’est pas un prolongement de soi-même de ses parents, il ne peut pas vivre, il ne peut pas devenir un petit humain, il ne peut pas grandir. Un lien se noue autour de ce besoin partagé, celui du parent de se perpétuer au travers de l’enfant, celui de l’enfant d’incarner les attentes de ses parents pour être aimé d’eux : c’est le lien filial. Ce lien humanise la relation parent-enfant, il fait de la reproduction (terme applicable à toutes les espèces sexuées) une procréation (terme spécifique à l’humain) : un désir humain se transmet, avec au cœur du lien avec l’enfant la perspective de la mort. On fait des enfants pour ne pas mourir, fictivement bien sûr.

La part altruiste : l’enfant doit devenir un autre-que-soi pour le parent, sauf à demeurer un clone. La tension en résulte, du côté des parents dans l’impératif d’accepter que l’enfant s’autonomise et se forge ses propres projets et idéaux de vie, du côté de l’enfant de celui de se démarquer de leurs attentes, dès l’enfance et surtout en temps d’adolescence, en se forgeant ses perspectives propres préparant au temps ultérieur de devenir adulte. La part altruiste est dans l’acceptation suffisante que l’enfant acquière sa liberté – le proverbe le dit : « on ne fait pas des enfants pour soi » – mais un peu quand même, convenons-en, le proverbe se prononce pour que la finalité égoïste ne l’emporte pas. L’enfant sera autre, et pourtant dépositaire d’une part de soi, une part de soi depuis laquelle il s’est constitué mais dont il s’est émancipé.

Toutes les époques déclinent ce principe de la transmission de l’humain à leur manière. les conditions de vie ont leur incidence sur la façon de vivre le désir d’enfant. La production d’une main d’œuvre fut une motivation d’époques lointaines, comme au Moyen-Âge, d’autant que la mortalité enfantine entraînait à cet égard un immense « déchet » de naissances. Plus récemment (on l’a oublié, ou plutôt on veut l’oublier), il fut un temps où les femmes prenaient à cœur leur rôle dans la procréation, le rôle de porter l’enfant, au point d’affronter le risque qu’elles connaissaient de leur mort en couches : il hantait toutes les grossesses, et les grossesses étaient fréquentes en ces époques soucieuses de natalité, du fait de la mortalité infantile et de l’absence de procédé contraceptif fiable. Ce sujet est éludé des études sur la famille du passé, alors qu’il pesait comme aujourd’hui les accidents de la route : aucune famille qui ne connût, en son sein ou parmi ses relations proches, une femme ayant perdu la vie en la donnant ; Anne Dufourmantelle dit pourtant avec justesse qu’« il y a dans le destin d’être mère une suspension entre la vie et la mort qu’on oublie aujourd’hui à cause de l’évolution des techniques médicales, mais dont on peut parier qu’elle reste et restera longtemps intériorisée dans notre psyché. On mourait beaucoup en couches, si ce n’était à la première naissance, c’était à la suivante » (La Femme et le Sacrifice. D’Antigone à la femme d’à côté, Denoël, 2007). L’époque était à la répartition des rôles entre femmes donneuses de vie et hommes donneurs de mort dans les guerres, qui nous paraît aujourd’hui désuète, mais animée d’une responsabilité face à ce qui était perçu par chacun comme l’honneur de son sexe et sa mission dans la vie sociale.

En cette époque, « les donneurs de conseil encourageaient les maris à ne pratiquer que le sexe le moins inspiré et le moins inspirant – avec leur femme » : la sexualité conjugale avait pour seule finalité la procréation […] les hommes d’un certain rang social pensant qu’une épouse était là pour la dot, les enfants et le statut social » (Julian Barnes, L’homme en rouge, Mercure de France, 2020) : la famille patriarcale du passé idéalisait le pouvoir maternel des femmes, « tandis qu’une maîtresse (ou une prostituée) était là pour le plaisir ». L’épouse avait pour destin de “donner des héritiers” au père ; l’histoire de la royauté l’illustre tout comme celle de la bourgeoisie de la période industrielle.

La contestation du destin procréateur des femmes prend essor avec Simone de Beauvoir ; quoiqu’on pense des approximations de sa réflexion, elle a libéré une haine à l’égard d’un tel destin maternel, vécu comme asservissement de la vie des femmes, et elle fut en cela pionnière des temps modernes. Le désir d’être mère n’est plus une évidence des femmes d’aujourd’hui comme un accomplissement de leur destin féminin.

La motivation des hommes était patrimoniale, hantée par la transmission, tout à la fois la natalité et l’héritage, condition de la pérennité de la lignée familiale et de la survie de la société à laquelle les hommes veillaient en s’engageant dans les guerres. La dimension sacrificielle, des femmes dans la maternité, des hommes dans les guerres, marquait un engagement qui donnait une place à l’enfant – une place soumise, les enfants priés de préparer l’avenir, donc la succession, sans encombrer dans l’immédiat les adultes. Les hommes comme les femmes avaient le souci de la pérennité des familles et de la société ; ils la savaient fragile, marquée par les maladies : il n’y avait pas les antibiotiques ni les vaccins, la mortalité infantile était considérable.

Une « fatigue de faire des enfants » semble gagner notre époque : la part d’égoïsme prend le dessus, l’altruisme n’étant plus récompensé. La reconnaissance des plus jeunes à l’égard de ce qu’ils reçoivent des générations antérieures n’opère plus. Le respect qui la manifestait « n’est plus ce qu’il était », parce qu’il ne se sent plus de dette à honorer, ressentant les « anciens » (les seniors, les « aînés ») repliés sur la recherche de leur plaisir. Devenir parent n’est plus « un devoir », ni la voie d’un accomplissement personnel. Un « à quoi bon » l’emporte : ce n’est pas illogique, tant est accaparante la charge éducative. De façon significative, celle-ci est décrite comme une « charge mentale », qui, le féminisme s’en mêlant, incomberait surtout aux mère : discours luttant contre le domaine réservé qu’auraient été la maison et l’éducation des enfants pour les mères, tandis que les pères allaient au travail et repassaient chez les prostituées avant de rentrer au foyer – image qui perdure.

Il y a donc un changement de regard sur le fait d’avoir des enfants. La joie de voir grandir ses enfants, est-elle une notion périmée ? Elle n’est plus évoquée dans les grands débats de société, autrement que pour la dénoncer comme une notion traditionnaliste : avoir des enfants est devenu une pesée. La joie, c’est de restituer en tant qu’adulte, puisant à ce qui fut reçu jadis comme enfant et permit de grandir. elle assume une dette symbolique passée à l’égard de ses propres parents et la transforme en don restitutif. Cette joie (peut-être la source d’un « bonheur » ?), c’est ce qui semble jugé désuet aujourd’hui au profit du plaisir. Or, la joie est indispensable pour supporter le caractère astreignant de l’éducation et son caractère frustrant dans la vie des adultes, d’autant qu’elle doit supporter sa part d’aigreur de la part des récipiendaires : la contestation de ses règles par les enfants qui se moquent du « tu me remercieras plus tard » et s’offusquent qu’on leur refuse le téléphone portable (ce qui fait qu’on le leur accorde), l’ingratitude des adolescents qui renvoient les parents dans leurs buts avec leurs « c’est pour toi » – « non, répondent-il, c’est pour vous, j’ai rien d’mandé », etc. Il faut supporter cela. Et si la joie n’y est pas, s’il n’y a pas le bonheur de la vie de famille. Alors, à quoi bon, lorsque tant de distractions s’offrent ?

Il y a un rapport changé à la nécessité d’avoir des enfants. La succession concrète, qui va pérenniser l’entreprise familiale, cet enjeu s’est dissipé à l’heure où de plus tous les enfants survivent ou presque. La notion d’une surpopulation mondiale a gagné les esprits, d’une certaine manière initiée en Chine avec la politique de l’enfant unique (qui créa tant de problèmes sociaux) dans un pays d’1,4 milliard d’habitants désormais. Elle est rationalisée au travers de la protection de la planète, et le fait que de nouveaux enfants, c’est autant de CO2 émis, circule comme un argument. La dénatalité devient tendance. Cela se manifeste dans bien des pays actuels (on le rencontre dans des pays aussi différents que la Turquie, l’Iran ; on a moins d’informations sur des pays comme la Russie et la Chine) ; l’enfant n’est plus une ressource mais une contrainte.

Cela semble se conjuguer en France avec une fatigue plus générale. Les Français sont fatigués de travailler, ils s’agrippent à la perspective de leur retraite, ils semblent rêver comme dans le poème d’Apollinaire : « Je ne veux pas travailler, je veux fumer » (et fumer, pas seulement la cigarette évoquée par le poète, plutôt quelque drogue qui alimente un narcotrafic qui l’on peine à enrayer parce qu’il est prisé, c’est le cas de le dire, des consommateurs). Est-ce le vœu de profiter ? De se reposer ? Ou est-ce une dépression face au tableau du pays qui décline et sombre ? La dénatalité n’est guère évoquée dans le débat français que comme un sujet pour l’avenir du paiement des retraites – une façon peu exaltante de motiver à procréer. « Faire des enfants » est indissociable d’une perspective qui leur soit proposée, et qui anime leur éducation ; la morosité n’y concourt pas.

Des décisions de société ont brisé l’élan historiquement nataliste français. La fameuse mise sous condition de ressources des prestations familiales décidées sous la présidence Hollande a joué son rôle en abolissant leur « sanctuarisation ». Mais une décision prise à la même époque a bien plus encore affecté la vie familiale : la destruction du lien filial tel qu’il était établi par la tradition française, détruit par la loi « mariage et adoption pour tous » (2013) : important dans le droit français les principes familiaux de la tradition anglosaxonne nord-américaine, elle a déculturé la fonction régulatrice du lien filial telle qu’elle valait en France, sapant les fondements psychoaffectifs de la famille. Cela a entravé la relation éducative, au prétexte invoqué de lutter contre la domination parentale ; il en résulte un désenchantement de la vie familiale, l’astreinte l’emportant sur la joie – comment désirer encore « faire des enfants » ?

On pourra discuter de mesures sociales, comme de rétablir la politique de la famille (certainement une nécessité pour encourager la natalité). De même, la tentative de Sarah El Haïry, haut-commissaire à l’enfance lançant le label « Le choix des familles » visant à « redonner aux enfants leur place dans notre société et construire un quotidien à hauteur d’enfants », paraît sympathique – mais elle sera une pure incantation verbale tant que les décideurs politiques ne prendront pas en compte qu’ils ont sapé la construction de la famille en attaquant ses fondations (plutôt que de simplement l’aménager, ce qui aurait rendu possible d’accueillir la « diversité des familles » sans saper les fondements de « la famille »). Tant que l’encouragement moral n’y sera pas, ce qui veut dire restaurer l’équilibre de l’éducation, donc remettre la famille sur ses fondations qui sont en France la référence à l’enfantement, tant que la vie familiale ne permettra pas à la joie de voir grandir ses enfants de percer sous l’astreinte de les éduquer, cela restera des mesurettes politiques.

Restaurer le lien filial, permettant que l’emporte la joie d’avoir des enfants. C’est la seule réponse à : qu’est-ce qui nous relie ? Qu’est-ce que nous souhaitons faire et construire ensemble ? c’est la seule voie à un élan qui donne envie non pas de « faire des enfants », mais d’avoir ses enfants et de les aider à grandir. Cela concerne autant la vie familiale que la vie sociale, et c’est le point commun sur le thème de la natalité en France.

 
Psychiatre et psychanalyste

Psychiatre et pédopsychiatre

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*Expert pour l’agrément en vue d’adoption